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Nous sommes en 2015. Lors de mes stages dans un service de gynéco-obstétrique de référence de Cotonou, nous avons reçu une femme, victime d’une hémorragie après un accouchement réalisé dans des conditions confuses. A notre grande surprise, il a été retrouvé à l’intérieur de l’organe génital de la jeune mère, un amas de plantes profondément enfouies. Malheureusement, la dame n’a pas survécu. Où l’accouchement a-t-il été réalisé ? Qui l’a effectué ? Les réponses à ces questions n’étaient pas précises. Le recoupement des informations que j’ai pu recueillir faisait état de centre non autorisé pour l’accouchement, de personnes qui s’auto-qualifient ‘’sage-femme’’, de récidive. La suite de l’affaire… mes petites oreilles n’en ont plus eu écho.
La santé des populations se retrouve très souvent entre des mains amatrices. Il s’agit de personnes ‘’formées sur le tas’’ et qui s’autoproclament aptes à piquer, à injecter voire à opérer. Ces ‘’doto’’, comme ils aiment se faire appeler, profitent du laxisme de l’Etat, de l’ignorance et de la pauvreté des populations pour se faire passer pour des rois, des champions du diagnostic et du traitement. Mais les drames et les mésaventures surviennent très vite. Les centres de santé clandestins ne sont pas surveillés. Ils échappent au contrôle de l’Etat. Dans ces conditions, tous les abus sont permis, tous les excès ont leur place. Il n’y a pas de censure, il n’y a pas de limite. Il s’agit de véritables raccourcis vers la mort qui prolifèrent au nez et à la barbe de tous. Ces centres de santé clandestins, des couloirs faciles vers l’au-delà, poussent comme des champignons dans les maisons et coins de rues dans une tolérance et une hypocrisie collectives. Selon le Recensement du secteur privé de la santé au Bénin mené dans le cadre du Projet “Renforcement des résultats en matière de santé à travers le secteur privé’’ et financé par l’USAID, ils constituaient à eux seuls, 45,3 % des 2851 établissements privés de santé recensés en 2014 sur l’ensemble du territoire national, soit plus de 1280 cabinets de soins clandestins. Ces chiffres, à couper le souffle, renvoient une piètre image du système de santé du Bénin et appellent à l’action. Ces données, qui ne sont pas que des nombres, renvoient à des réalités qui doivent pousser à la prise de mesures urgentes.
Les cabinets illégaux représentent 45,3 % des 2851 établissements privés de santé du #Bénin Cliquez pour tweeter
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Un personnel non formé
Un frère, un cousin, un enfant qui n’a pas pu évoluer dans les études, il faut lui trouver une issue ‘’coquette’’, ‘’akowé’’ et rentable. Après tout, il deviendra ‘’doto’’, en blouse blanche, respecté de la communauté par sa capacité à ‘’piquer’’ et à administrer les sérums. Pour y arriver, il faut quelques mois d’apprentissage comme un menuisier ou un vulcanisateur. Après libération, le désormais diplômé ouvre une structure de santé et recrute de nouveaux apprentis. C’est un réseau de piqueurs sauvages qui, parfois, sous couvert d’ ONG, s’installent impunément. Le trafic de faux médicaments y trouve aussi un terreau fertile.
Un frère, un cousin, un enfant qui n’a pas pu évoluer dans les études? Trouvez-lui une blouse et une seringue, et il devient le doto du quartier Cliquez pour tweeter
Une boucherie médicale
C’est un secret de polichinelle. Beaucoup de ces centres de santé illégaux sont le siège d’avortements clandestins. Combien de jeunes filles ne sont pas passées de vie à trépas entre les mains de ces ‘’avorteurs’’ réputés ? Combien de femmes n’ont-ils pas rendu stériles? Combien de médicaments n’ont-ils pas été administrés à la place d’un autre, ou en surdose, ou non adaptés à la maladie du patient? Dans ces centres, des opérations chirurgicales sont faites, en violation des normes requises. Des circoncisions, des amputations, des opérations de l’abdomen…Les morts, on le les compte pas. C’est Dieu qui en a décidé ainsi. On remet tout au Tout Puissant jusqu’au prochain mort. Mais avant de succomber, le malade a dépensé toutes ces économies dans des traitements sans tête ni queue. En effet, les populations dépensent énormément dans ces centres de soins illégaux. Avant d’être référé dans un hôpital digne du nom, le malade est sucé financièrement. Une fois à l’hôpital, il ne peut même plus acheter une seringue. Que faut-il faire ? Pas d’assurance maladie…Un autre calvaire.
Des centres abattoirs pour les malades: une vraie boucherie médicale Cliquez pour tweeterLire aussi: Top 10 des affiches et centres à tobouler
L’Etat a fermé les yeux
Le réseau des centres de santé illégaux s’est érigé en un système puissant et apparemment intouchable lié en grande partie au silence surprenant de l’Etat. Et pourtant des textes existent. Des dispositifs coercitifs, même s’ils sont à renforcer, répriment l’exercice illégal de la médecine au Bénin. Par exemple, depuis plus de 20 ans, il existe une loi qui réglemente le secteur. Il s’agit de la loi 97-020 du 17 juin 1997 fixant les conditions de l’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales, suivie de six décrets d’application et quelques arrêtés fixant des normes et conditions particulières. Si cette loi devrait être respectée, beaucoup devraient être derrière les barreaux. Des tentatives de lutte ont été initiées mais ne sont jamais allées jusqu’au bout. Aucune contrainte ou blocage ne devrait surpasser la volonté de l’Etat d’offrir des soins de qualité aux citoyens.
Le réseau des centres de santé illégaux s’est érigé en un système puissant et apparemment intouchable Cliquez pour tweeterDes exemples à suivre
Le conseil communal de Nikki, une ville du Nord du Bénin, a procédé il y a quelques semaines à la fermeture d’une soixantaine de cabinets de soins illégaux.
‘’ Quand on a fait le point, on s’est rendu compte que la plupart des agents étaient des aides-soignants formés pendant deux ou trois mois’’
s’est indigné le maire de la commune. Le cas de Nikki est un exemple à suivre. L’Etat doit prendre ses responsabilités en fermant et en en enclenchant des poursuites judiciaires contre ces auteurs d’attentat à la santé des populations. Une opération semblable à Pangea IX, est une urgence pour venir à bout des établissements de soins illégaux. Le système de santé du Bénin doit guérir de cette plaie.
Nous connaissons tous ces centres. Parce qu’ils sont dans notre voisinage. Parce que nous y emmenons nos parents ou voyons emmener des malades. Parce que ce sont des personnes que nous connaissons qui exercent illégalement dans ces centres. Parce que ceux qui meurent impunément ont droit aussi à la vie. Parce que cela n’arrive pas qu’aux autres. Nous avons tous un rôle à jouer dans l’assainissement de notre système de soins. Nous avons chacun le pouvoir d’arrêter ce génocide.
Laissez en commentaire des idées que vous avez, des centres illégaux que vous connaissez, des situations que vous y avez vécu. Et n’oubliez pas de partager ce billet jusqu’à ce que ce sujet résonne en boucle dans les cercles de prise de décisions.
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Dr Isaac HOUNGNIGBE est un médecin blogueur béninois passionné de la plume. Il utilise le pouvoir de la bonne information pour contribuer à la réalisation de la plénitude de santé pour tous les Hommes.[:]